
une évolution du modèle explicatif en EMDR
L’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), développée par Francine Shapiro à la fin des années 1980, s’est imposée comme une thérapie reconnue pour le traitement du trouble de stress post-traumatique (TSPT). Si son efficacité est aujourd’hui bien documentée, le débat sur ses mécanismes d’action a longtemps opposé deux hypothèses principales : celle du sommeil paradoxal (REM – Rapid Eye Movement) et celle de la mémoire de travail. Alors qu’à ses débuts, l’EMDR était associée au modèle REM en raison de la similarité apparente entre les mouvements oculaires en séance et ceux du sommeil paradoxal, la recherche contemporaine penche désormais massivement en faveur du modèle de la mémoire de travail. Ce changement de paradigme ne repose pas sur une décision unilatérale, mais sur un faisceau convergent de preuves expérimentales, neurobiologiques et cliniques.
Cette présentation vise à retracer cette transition, à présenter les arguments scientifiques en faveur de la mémoire de travail, et à fournir aux praticiens EMDR un socle solide de connaissances actualisées pour comprendre et expliquer ce changement fondamental.
1 : L’hypothèse REM dans le modèle historique de l’EMDR
1.1 Origines de l’hypothèse REM
Francine Shapiro a observé que des mouvements oculaires bilatéraux semblaient entraîner une diminution de la détresse émotionnelle liée à des souvenirs perturbants. Inspirée par la neurophysiologie du sommeil, elle émet l’hypothèse que ces mouvements miment ceux du sommeil paradoxal (REM), une phase associée à une activité onirique intense et à la consolidation de la mémoire émotionnelle. L’idée sous-jacente est que l’EMDR favoriserait un traitement adaptatif de l’information, à l’image de ce qui se produit naturellement durant le sommeil.
Cette analogie repose sur plusieurs éléments :
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Pendant le REM, les yeux bougent rapidement alors que le cerveau reste actif.
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Le REM est associé à l’activation de l’amygdale, du cortex préfrontal et de l’hippocampe, régions impliquées dans le traitement des souvenirs émotionnels.
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L’expérience subjective du rêve pendant le REM semble rejouer des éléments émotionnels récents.
1.2 Limites de l’hypothèse REM
Les travaux du neuroscientifique Robert Stickgold ont d’abord conforté cette hypothèse en montrant que le sommeil est impliqué dans la consolidation mnésique. Toutefois, Stickgold a rapidement démontré que la mémoire ne dépend pas exclusivement du sommeil paradoxal, mais aussi du sommeil à ondes lentes (SWS), particulièrement impliqué dans la consolidation des souvenirs déclaratifs.
📄 Stickgold, R. (2005). Sleep-dependent memory consolidation. Nature. Lien
Des études de privation sélective de REM ont montré que l’altération de cette phase n’entraîne pas nécessairement une perturbation du rappel mnésique. Par ailleurs, aucune étude ne démontre que les mouvements oculaires de l’EMDR déclenchent des processus comparables à ceux observés pendant le REM.
Ainsi, l’hypothèse REM est progressivement tombée en désuétude, notamment en raison de :
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l’absence de preuve directe de correspondance neurophysiologique entre REM et EMDR ;
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la faible reproductibilité des effets associés au REM dans un cadre thérapeutique ;
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la montée en puissance d’un autre modèle explicatif plus cohérent avec les données cognitives contemporaines : le modèle de la mémoire de travail.
2 : Le modèle de la mémoire de travail : fondements et preuves
2.1 Origine du modèle
La mémoire de travail est une structure cognitive temporaire qui permet de maintenir et manipuler des informations nécessaires à la réalisation de tâches complexes : résolution de problème, raisonnement, compréhension, rappel d’informations récentes.
Ce système dispose d’une capacité limitée. Si plusieurs tâches sont accomplies en parallèle, les ressources sont partagées et la performance décline. C’est ce phénomène que le modèle de la mémoire de travail applique à l’EMDR : lorsqu’un patient se remémore un souvenir traumatique tout en effectuant une tâche concurrente (mouvements oculaires, tapotements alternés, tâche cognitive), cela diminue la vivacité et la charge émotionnelle du souvenir.
2.2 Preuves expérimentales majeures
L’explication par la mémoire de travail est étayée par un grand nombre d’études expérimentales contrôlées, souvent conduites par Marc van den Hout, Iris Engelhard, Suzy Matthijssen, et leurs collègues.
📄 Van den Hout, M., & Engelhard, I. (2012).A working memory explanation for the effects of eye movements in EMDR. Ils démontrent que :
Des tâches secondaires concurrentes (mouvements oculaires, sons alternés, calculs mentaux) diminuent systématiquement la vivacité et la valence émotionnelle des souvenirs rappelés. Plus la tâche est exigeante cognitivement, plus la réduction émotionnelle est marquée.
📄 Matthijssen, J. et al. (2021). EMDR 2.0: Enhanced efficacy through increased cognitive load. Lien
📄 (2022).Dany Laure Wadji, C. Martin-Soelch & V. Camos – Can working memory account for EMDR efficacy in PTSD? BMC Psychology. Lien
Ces études confirment l’effet dose-réponse entre la charge cognitive et la réduction émotionnelle.
2.3 Synthèses et méta-analyses
Des revues systématiques valident l’hypothèse de la mémoire de travail :
📄 EMDR Association UK (2023). Systematic review on eye movements and working memory. Lien📄
Lycia D. de Voogd & Elizabeth A. Phelps (2020)
A cognitively demanding working-memory intervention enhances extinction Lien
Ces publications confirment que :
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L’interférence induite par une tâche cognitive limite l’accès intégral au souvenir ;
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Cela entraîne un affaiblissement durable de la charge émotionnelle ;
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Ce mécanisme est reproductible avec d’autres tâches que les mouvements oculaires (ce qui affaiblit encore l’hypothèse REM).
2.4 Application à EMDR 2.0
Des modèles plus récents, comme la technique Flash ou EMDR 2.0, reposent sur la même hypothèse théorique de surcharge de la mémoire de travail.
3 : Conséquences cliniques et implications pour la pratique
3.1 Une base scientifique plus robuste
Le modèle de la mémoire de travail présente plusieurs avantages par rapport à l’hypothèse REM :
Il est reproductible en laboratoire ;
Il est validé par des dizaines d’études contrôlées ;
Il permet une mesure objective des effets (vivacité, valence émotionnelle) ;
Il est cohérent avec les modèles cognitifs du TSPT et la théorie de la reconsolidation.
3.2 Ouverture vers de nouvelles pratiques : EMDR 2.0 et Flash
Ce cadre théorique a permis de développer :
EMDR 2.0 : protocole plus intensif, utilisant des tâches à charge cognitive élevée (tapotements rapides, double tâche motrice + visuelle).
Conclusion
Le remplacement progressif de l’hypothèse REM par le modèle de la mémoire de travail dans l’EMDR ne repose pas sur une intuition ou un effet de mode, mais sur l’accumulation rigoureuse de preuves scientifiques. Aujourd’hui, les cliniciens EMDR peuvent s’appuyer sur un modèle théorique éprouvé, intégré aux neurosciences cognitives et compatible avec une approche centrée sur l’efficacité et la reproductibilité.
Lla science évolue, et que cette évolution permet de rendre la thérapie encore plus efficace, plus ciblée, et plus compréhensible.
Marie-Agnès Thulliez
Annexe : Liens directs vers les études citées
Stickgold, R. (2005) : https://www.researchgate.net/publication/7514731_Sleep-dependent_memory_consolidation
Louise Maxfield – William T. Melnyk Gordon – C.A. Hayman https://www.researchgate.net/publication/233616091_A_Working_Memory_Explanation_for_the_Effects_of_Eye_Movements_in_EMDR
S. Matthijssen et al. (2021) : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8462855/
Can working memory account for EMDR efficacy in PTSD?
- Dany Laure Wadji, C. Martin-Soelch & V. Camos :https://bmcpsychology.biomedcentral.com/articles/10.1186/s40359-022-00951- https://etq.emdrassociation.org.uk/2023/05/10/a-systematic-review-exploring-the-role-of-eye-movements-in-emdr-therapy-from-a-working-memory-perspective/
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