
1. Introduction
La thérapie EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) est aujourd’hui largement reconnue comme une approche psychothérapeutique efficace et flexible. Elle a fait ses preuves face à de nombreux troubles psychologiques : anxiété, dépression, troubles de l’attention ou encore gestion de la colère (de Jongh et al., 2020). Son efficacité est particulièrement bien démontrée pour les traumatismes dits « simples » — des événements isolés vécus par des personnes disposant d’un fonctionnement psychique relativement stable et d’une bonne capacité de régulation émotionnelle. Dans ces cas, quelques séances suffisent souvent à produire une amélioration significative.
Mais lorsqu’il s’agit de traumatismes complexes — abus répétés, négligence chronique, ou enfance marquée par l’insécurité relationnelle — le tableau est tout autre. Ces expériences laissent des traces profondes sur le plan émotionnel, cognitif, somatique et relationnel. Le processus thérapeutique devient alors plus long, plus sensible, et nécessite des ajustements. Le protocole standard ne suffit pas toujours ; il faut savoir l’adapter en fonction des ressources, de la stabilité du patient et des dynamiques en jeu (Alting van Geusau et al., 2023).
Dans cette perspective, les thérapeutes ont tout intérêt à affiner leur compréhension du modèle EMDR et à enrichir leur pratique avec des stratégies soutenues par la recherche. Cela permet de répondre plus précisément aux besoins de chaque patient (Yaşar et al., 2023), tout en favorisant des changements profonds et durables. De plus, les études en neuroimagerie commencent à révéler comment l’EMDR agit concrètement sur les circuits cérébraux impliqués dans la mémoire, l’émotion et la conscience de soi (Landín-Romero et al., 2018).
2. Les fondements d’une pratique efficace
Tout commence par la relation thérapeutique. En EMDR, comme ailleurs, c’est le lien de confiance, d’empathie et de respect mutuel qui permet au travail de se déployer (Wilson et al., 1995). Dans ce cadre sécurisant, le patient peut explorer ses expériences douloureuses, parfois enfouies depuis longtemps.
Le modèle théorique sur lequel repose l’EMDR — le traitement adaptatif de l’information (Shapiro, 2012) — postule que nos symptômes naissent de souvenirs mal « digérés » par le système nerveux. Ces souvenirs, souvent liés à des événements stressants ou traumatiques, restent actifs dans la mémoire et colorent nos réactions actuelles. L’objectif est donc de permettre un retraitement de cette information restée figée dans le temps (Shapiro, 2013).
3. Adapter l’approche à chaque patient
Aucun parcours de vie ne se ressemble. Adapter le protocole EMDR, c’est reconnaître que chaque patient a des besoins, une histoire et des ressources propres. Cela implique d’ajuster les étapes du traitement, d’intégrer si besoin des éléments issus d’autres approches — comme l’exposition progressive pour les troubles anxieux (Hughes, 2006), ou la restructuration cognitive pour travailler les pensées négatives rigides (Exploration des différences entre le protocole EMDR 2.0, s.d.).
4. Apprivoiser l’intensité émotionnelle
Certains patients réagissent très fortement aux souvenirs qu’ils explorent. Crises d’angoisse, accès de colère, dissociation : la montée émotionnelle peut parfois être difficile à contenir. D’où l’importance de préparer la personne en amont, en lui transmettant des outils concrets pour l’aider à se réguler aussi bien pendant qu’après les séances.
5. Développer les ressources et les stratégies d’adaptation
Avant d’aborder les souvenirs difficiles, mieux vaut d’abord renforcer les capacités de régulation du patient. Des techniques simples comme la respiration, la relaxation musculaire ou la pleine conscience peuvent calmer le système nerveux, redonner un sentiment de contrôle et rendre le travail thérapeutique plus fluide (Burkhart et al., 2023).
6. Travailler avec le corps
Beaucoup de patients expriment leur souffrance à travers leur corps : douleurs chroniques, tensions, fatigue, troubles digestifs… Le travail en EMDR gagne à inclure cette dimension somatique. En portant attention aux sensations physiques, le patient peut accéder à des informations émotionnelles souvent enfouies, non verbalisées, afin de pouvoir favoriser un retraitement plus en profondeur.
7. Évaluer régulièrement et ajuster en cours de route
Suivre l’évolution d’un traitement, c’est comme ajuster les voiles d’un bateau en fonction du vent. Grâce à des outils simples — échelles de symptômes, questionnaires auto-administrés — le thérapeute peut détecter ce qui avance, ce qui stagne, et ajuster le cap si besoin (Matthijssen et al., 2021 ; Scarvaglieri, 2020). Cela permet aussi d’identifier plus tôt les patients qui ne répondent pas au traitement et d’envisager d’autres pistes (Overington & Ionita, 2012).
8. Croiser l’EMDR avec d’autres approches
L’EMDR n’a pas vocation à tout faire seul. Associée à d’autres méthodes — thérapie cognitive et comportementale, DBT, pleine conscience — elle devient encore plus puissante. Pour des patients avec des problématiques complexes, cette combinaison permet de mieux cibler les mécanismes en jeu : pensées rigides, évitement comportemental, impulsivité, régulation émotionnelle (Rydberg & Machado, 2020 ; Renna et al., 2020).
Certaines études montrent que proposer l’EMDR sur plusieurs jours consécutifs peut améliorer les résultats et réduire la durée globale du traitement (Cuijpers et al., 2020). Une piste prometteuse, surtout pour les structures de soins intensifs ou les interventions post-trauma.
9. Optimiser le protocole : l’EMDR 2.0
L’EMDR 2.0 est une version enrichie du protocole classique. Elle s’appuie sur des connaissances en neurosciences cognitives, avec notamment une activation plus soutenue de la mémoire et l’utilisation de tâches duales pour maximiser l’effet de désensibilisation. Les premières études sont encourageantes, notamment pour les traumatismes complexes ou les contextes de traitement de groupe (Alting van Geusau et al., 2023).
10. Conclusion
Quand les différentes approches thérapeutiques sont combinées de manière cohérente, le psychothérapeute peut proposer un accompagnement plus ajusté, plus fluide, plus vivant. Loin d’une vision rigide ou standardisée, cela lui permet de s’adapter à la réalité subjective du patient, à ses ressources, ses limites, mais aussi à son histoire et à sa manière propre de faire face. L’intégration de ces outils n’est pas une simple option : elle devient un levier pour créer des espaces de soin réellement accessibles et efficaces, notamment pour les personnes peu enclines aux approches fondées uniquement sur la parole. L’enjeu n’est pas uniquement thérapeutique, il est aussi éthique : rendre possible un accès au soin plus inclusif, plus respectueux de la diversité des trajectoires psychiques, et mieux aligné avec les besoins concrets du terrain.
Marie-Agnès Thulliez
Bibliographie
-
Alting van Geusau, V. V. P., et al. (2023). The effectiveness, efficiency, and acceptability of EMDR vs. EMDR 2.0 vs. the Flash technique in the treatment of patients with PTSD.
-
Burkhart, K., et al. (2023). A Scoping Review of Trauma-Informed Pediatric Interventions in Response to Natural and Biologic Disasters. Children, 10(6), 1017
-
Cuijpers, P., et al. (2020). Eye movement desensitization and reprocessing for mental health problems: a systematic review and meta-analysis. Cognitive Behaviour Therapy, 49(3), 165
-
Exploration des différences entre le protocole EMDR 2.0 (s.d.).
-
Hughes, J. H. (2006). Psychology and cognitive processing in post-traumatic disorders. Psychiatry, 5(7), 228
-
de Jongh, A., et al. (2020). Empirically Supported Psychological Treatments: EMDR Therapy. Oxford Handbook
-
Landín-Romero, R., et al. (2018). How Does Eye Movement Desensitization and Reprocessing Therapy Work? A Systematic Review on Suggested Mechanisms of Action. Frontiers in Psychology, 9
-
Matthijssen, S. J. M. A., et al. (2021). The effect of EMDR versus EMDR 2.0 on emotionality and vividness of aversive memories in a non-clinical sample.
-
Overington, L., & Ionita, G. (2012). Progress monitoring measures: A brief guide. Canadian Psychology, 53(2), 82
-
Renna, M. E., et al. (2020). Emotion Regulation Therapy and Its Potential Role in the Treatment of Chronic Stress-Related Pathology Across Disorders. Chronic Stress, 4
-
Rydberg, J. A., & Machado, J. (2020). Integrative psychotherapy and psychotherapy integration: The case of EMDR. European Journal of Trauma & Dissociation, 4(3)
-
Scarvaglieri, C. (2020). First Encounters in Psychotherapy: Relationship-Building and the Pursuit of Institutional Goals. Frontiers in Psychology, 11
-
Shapiro, F. (2012). EMDR therapy: An overview of current and future research. European Review of Applied Psychology, 62(4), 193
-
Shapiro, F. (2013). The Case: Treating Jared Through Eye Movement Desensitization and Reprocessing Therapy. Journal of Clinical Psychology, 69(5), 494
-
Wilson, S., et al. (1995). Eye movement desensitization and reprocessing (EMDR) treatment for psychologically traumatized individuals. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 63(6), 928
-
Yaşar, A. B., et al. (2023). The Effectiveness of Online EMDR 2.0 Group Protocol on Posttraumatic Stress Disorder Symptoms, Depression, Anxiety, and Stress in Individuals Who Have Experienced a Traffic Accident: A Preliminary Study.