
EMDR 2.0 et la théorie de la mémoire de travail
Résumé
Alors que l’EMDR s’est imposée comme une méthode de référence dans le traitement des troubles post-traumatiques, de nouvelles avancées théoriques et expérimentales invitent à repenser certains fondements du modèle classique. Cet article propose un plaidoyer en faveur de l’EMDR 2.0, une évolution fondée sur la théorie de la mémoire de travail, dont l’efficacité est soutenue par de nombreuses recherches empiriques.
En s’appuyant sur les travaux de Baddeley, Van den Hout, Gunter, Matthijssen et De Jongh, l’EMDR 2.0 optimise le protocole traditionnel pour proposer une approche plus rapide, plus tolérable émotionnellement, et moins épuisante pour le praticien. Cette actualisation du modèle thérapeutique permet une plus grande flexibilité clinique, sans trahir les principes fondateurs posés par Francine Shapiro.
À travers une perspective clinique et réflexive, nous examinons ensemble comment cette relecture contemporaine de l’EMDR répond aux exigences actuelles de la psychotraumatologie : augmentation des troubles liés au trauma, saturation des systèmes de soin, et recherche d’interventions efficaces et efficientes. L’article s’adresse à tous les praticiens soucieux d’allier rigueur scientifique, liberté thérapeutique et mise à jour continue de leurs outils.
Depuis plus de trente cinq ans, des praticiens accompagnent des patients brisés par des souvenirs qui parfois ne lâchent pas prise. Des images figées dans le temps, des sensations qui débordent, des réactions incompréhensibles dans le présent… Des années de vie en apnée. Et parfois, malgré une application rigoureuse du protocole EMDR tel qu’hérité de Francine Shapiro, quelque chose résiste. Comme si la clé n’était plus tout à fait adaptée à la serrure.
L’EMDR, tel qu’il nous a été transmis, repose sur une intuition forte : les mouvements oculaires faciliteraient le retraitement des souvenirs traumatiques. Francine Shapiro avait vu juste. En formulant la théorie du traitement adaptatif de l’information (TAI), elle posait les bases d’un modèle selon lequel le cerveau humain tend spontanément vers l’intégration des expériences.
À l’époque cependant, peu de personnes disposaient de l’éclairage offert aujourd’hui par les recherches sur la mémoire de travail – un modèle théorisé dès 1974 par Baddeley et Hitch, et désormais validé empiriquement dans le champ thérapeutique. Ce cadre neurocognitif vient affiner notre compréhension des mécanismes qui soutiennent le retraitement : ce n’est pas tant une réplique du sommeil paradoxal qui est à l’œuvre, qu’une surcharge délibérée de la mémoire de travail, qui réduit la vivacité du souvenir et en facilite l’intégration.
La mémoire de travail est définie comme un système à capacité limitée permettant de maintenir temporairement et de manipuler activement des informations. Plusieurs études ont montré que la mobilisation de cette mémoire pendant l’accès au souvenir traumatique, atténue l’intensité de l’image mentale et réduit l’activation émotionnelle (Gunter & Bodner, 2008 ; Van den Hout & Engelhard, 2012).
Ce modèle contredit l’hypothèse initiale d’une analogie avec le sommeil paradoxal, qui repose sur des considérations plus analogiques que mécaniques. L’efficacité de l’EMDR semble désormais mieux expliquée par la surcharge cognitive induite par les doubles tâches, qui entraînent une dégradation de la vivacité de l’image et facilitent son intégration adaptative.
L’EMDR 2.0 a été initialement développé par Ad de Jongh et Erik ten Broeke, et est aujourd’hui enseigné dans sa version actualisée par Suzy Matthijssen et Ad de Jongh. Cette version enrichie du protocole classique vise à maximiser la charge sur la mémoire de travail afin d’accélérer le processus de désensibilisation. Elle intègre des stimuli plus intenses, des tâches secondaires cognitivement exigeantes, ainsi qu’une plus grande flexibilité dans l’enchaînement des phases et l’usage de feedbacks précoces.
Ce protocole repose sur l’intégration explicite de la théorie de la mémoire de travail comme mécanisme central du retraitement, en remplacement de l’hypothèse initiale fondée sur le sommeil paradoxal. L’EMDR 2.0 est pleinement intégré dans les formations aux Pays-Bas, du EMDR Advanced Trainings and Distance Learning (EMDR ATDL), où il constitue une évolution reconnue et validée du modèle EMDR standard. Ad de Jongh, co-concepteur de cette approche, est également l’auteur de plus de 500 publications scientifiques sur le traumatisme psychique et l’EMDR, ce qui renforce la légitimité et la solidité du modèle proposé.
Cette version enrichie vise à maximiser la charge sur la mémoire de travail afin d’accélérer le processus de désensibilisation. Elle mobilise des stimuli plus intenses, des tâches secondaires à forte exigence cognitive, ainsi qu’une plus grande flexibilité dans l’enchaînement des phases et le recours à des feedbacks précoces.
Les séances sont généralement plus courtes, plus dynamiques et souvent mieux tolérées sur le plan émotionnel. Ce protocole permet d’intervenir auprès de patients présentant une faible tolérance à la détresse ou des troubles comorbides, sans rallonger les phases de préparation ou de stabilisation.
- Optimiser l’efficacité. Réduire la durée des traitements.
- Renforcer la tolérance émotionnelle.
- Alléger la charge du thérapeute.
- Offrir des séances plus dynamiques, plus engageantes, moins éprouvantes pour les patients comme pour ceux qui les accompagnent.
- C’est l’expérience rapportée par de nombreux professionnels ayant intégré l’EMDR 2.0 dans leur pratique, notamment à travers des outils comme la plateforme WeMindEMDR.
Les résultats sont là : des patients qui avancent plus vite. Des phobies qui se désagrègent plus rapidement avec la méthode d’exposition, des souvenirs figés qui se relâchent comme un muscle longtemps contracté. Et surtout, une confiance renouvelée dans le processus thérapeutique, la confiance dans la capacité à ajuster et à s’adapter.
Donner au thérapeute une boîte à outils adaptable, constitue sans doute l’un des apports les plus significatifs de l’EMDR 2.0. Cette évolution ne remet pas en cause les fondements posés par Francine Shapiro ; elle s’inscrit au contraire dans la continuité de son objectif initial : faciliter un retraitement efficace des souvenirs perturbants, dans le but de soulager durablement la souffrance psychique. Cette souplesse repose sur des données expérimentales solides, qui justifient des ajustements ciblés du protocole traditionnel.
Dans un contexte marqué par une augmentation significative des troubles traumatiques, la disponibilité d’approches thérapeutiques robustes, empiriquement validées et suffisamment flexibles pour s’adapter à la diversité des patients constitue un impératif clinique. L’actualisation des pratiques apparaît dès lors comme une exigence, en cohérence avec la logique même du traitement adaptatif de l’information, qui postule une dynamique évolutive du fonctionnement psychique.
L’EMDR 2.0 s’inscrit pleinement dans cette perspective. Documentée par la recherche, validée sur le plan empirique et désormais intégrée dans plusieurs cursus de formation, elle propose aux praticiens un cadre thérapeutique rigoureux tout en offrant une marge d’adaptation aux réalités cliniques actuelles. Cette approche s’adresse aux professionnels engagés dans une pratique fondée sur les données probantes, soucieux de conjuguer efficacité, éthique et flexibilité.
Un thérapeute n’est jamais aussi pertinent que lorsqu’il connaît les évolutions de sa discipline et sait les mobiliser librement. Faire évoluer l’EMDR, c’est la faire vivre — et en faire, pleinement, un véritable vecteur de transformation.
Références
50 years of research on working memory – June 2024 – Kwartalnik Naukowy Fides et Ratio 58(2):77-84
The effect of EMDR versus EMDR 2.0 on emotionality and vividness of aversive memories in a non-clinical sample – Suzy J M A Matthijssen 1 2, Thomas Brouwers 1 2, Celeste van Roozendaal 2, Tessa Vuister 2, Ad de Jongh 3 4 5 6
- The effectiveness, efficiency, and acceptability of EMDR vs. EMDR 2.0 vs. the Flash technique in the treatment of patients with PTSD: study protocol for the ENHANCE randomized controlled trial
Suzy Matthissjen
Suzy Matthijssen, PhD est une psychologue clinicienne et psychothérapeute néerlandaise, spécialisée dans le traitement des troubles anxieux complexes et des traumatismes psychologiques. Elle est également chercheuse senior et formatrice en thérapie EMDR.
🎓 Parcours académique et professionnel
Suzy Matthijssen travaille au sein du Centre académique Altrecht pour l’anxiété, où elle dirige un programme intensif de traitement des traumatismes. Elle est également affiliée à l’Université d’Utrecht en tant que chercheuse. Ses recherches portent principalement sur l’optimisation des traitements des traumatismes, notamment à travers des approches innovantes comme l’EMDR 2.0. Psyflix
🧠 Contributions à l’EMDR 2.0
En collaboration avec Ad de Jongh, Suzy Matthijssen a co-développé l’approche EMDR 2.0, une évolution du protocole EMDR standard. Cette méthode vise à améliorer l’efficacité du traitement en augmentant la charge de la mémoire de travail pendant le rappel des souvenirs perturbants, en intégrant des tâches cognitives supplémentaires pour faciliter le retraitement de l’information.
📚 Publications et formations
Suzy Matthijssen est l’auteure de nombreuses publications scientifiques sur le traitement des traumatismes et l’EMDR. Elle propose également des formations et des ateliers pour les professionnels de la santé mentale à travers l’Enhancing Trauma Treatment Institute, qu’elle a fondé. Cet institut offre des cours, des consultations et des supervisions axés sur les dernières avancées en matière de traitement des traumatismes. enhancingtraumatreatment.com+5ETT Institute+5LinkedIn+5
🌍 Engagements internationaux
Suzy Matthijssen est vice-présidente de l’Association EMDR des Pays-Bas et membre du comité scientifique de l’EMDR Europe Association. Elle est également membre du Council of Scholars, un groupe de réflexion international sur l’avenir de la thérapie EMDR. Psyflix+4markinickerson.com+4EventWise NI+4
Suzy Matthijssen est une figure de proue dans le domaine de la psychotraumatologie, combinant une expertise clinique, une activité de recherche soutenue et un engagement actif dans la formation des professionnels de la santé mentale.
Ad de Jongh
Ad de Jongh, PhD est un psychologue clinicien GZ, et dentiste néerlandais, reconnu internationalement pour son expertise dans le traitement des troubles anxieux et des traumatismes psychologiques.
🎓 Formation académique
Il a obtenu son diplôme en chirurgie dentaire en 1985, puis a poursuivi des études en psychologie clinique, obtenant une maîtrise avec mention cum laude en 1991 à l’Université d’Amsterdam. Sa thèse de doctorat portait sur l’anxiété dentaire, explorant les aspects cognitifs de la phobie dentaire. Wikipédia+1IFEMDR+1
👨🏫 Carrière universitaire
En 2003, Ad de Jongh a été nommé professeur spécialisé en troubles anxieux et du comportement à l’Académie de dentisterie d’Amsterdam (ACTA), une collaboration entre l’Université d’Amsterdam et l’Université libre d’Amsterdam. Il est également professeur honoraire à l’Université de Salford (Manchester), à l’Université de Worcester et à l’Université Queen’s de Belfast.
🧠 Contributions à la psychotraumatologie
Ad de Jongh est cofondateur du Centre d’expertise en psychotraumatologie (PSYTREC) aux Pays-Bas, où il dirige le département de recherche. PSYTREC est reconnu pour ses programmes intensifs de traitement du trouble de stress post-traumatique (TSPT), combinant des thérapies fondées sur des preuves telles que l’EMDR et l’exposition prolongée.
🔬 Recherches et publications
Il a publié plus de 500 articles scientifiques et chapitres de livres sur des sujets tels que la peur dentaire, les troubles anxieux et le TSPT. Ses recherches portent sur l’efficacité des traitements fondés sur des preuves pour divers groupes de patients, y compris les enfants, les personnes ayant une déficience intellectuelle et les personnes atteintes de troubles psychiatriques complexes tels que le TSPT complexe, les troubles psychotiques et les troubles de la personnalité.
🌍 Engagements professionnels
Ad de Jongh est membre du conseil d’administration de l’Association EMDR des Pays-Bas (VEN) et de l’EMDR Europe Association. Il est également formateur certifié par l’EMDR Europe Association et membre des comités scientifiques de l’EMDR Europe Association et de l’EMDR International Association (EMDRIA).
En résumé, Ad de Jongh est une figure centrale dans le domaine de la psychotraumatologie, combinant une expertise clinique, une activité de recherche soutenue et un engagement actif dans la formation des professionnels de la santé mentale.
Erik ten Broeke
👤 Erik ten Broeke — Psychologue clinicien, formateur EMDR et co-développeur de l’EMDR 2.0
Erik ten Broeke est un psychologue clinicien néerlandais spécialisé en thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et en thérapie EMDR. Il est particulièrement reconnu pour son travail clinique et théorique sur le traitement des troubles anxieux et des phobies spécifiques, et pour son rôle central dans le développement de nouvelles approches thérapeutiques fondées sur des données probantes.
🧠 Développement de l’EMDR 2.0
En collaboration avec Ad de Jongh, Erik ten Broeke a co-développé l’EMDR 2.0, une évolution stratégique du protocole EMDR standard. Cette approche vise à optimiser la désensibilisation en augmentant la charge de la mémoire de travail au moment du rappel des souvenirs traumatiques, en combinant plusieurs tâches cognitives simultanées. Ce principe repose sur une série de résultats expérimentaux montrant que plus un souvenir est difficile à maintenir actif pendant la stimulation, plus il perd en intensité émotionnelle.
🎓 Activité de formateur et implication institutionnelle
Erik ten Broeke est formateur certifié EMDR Europe, actif au sein de la Vereniging EMDR Nederland (VEN), l’association professionnelle néerlandaise de l’EMDR. Il dispense des formations de base et avancées en EMDR auprès de professionnels de santé mentale, notamment via Vlokhoven Opleidingen, un centre reconnu de formation continue.
Il participe également à la diffusion des protocoles EMDR actualisés et à la supervision clinique, contribuant ainsi à l’amélioration des standards de pratique de l’EMDR aux Pays-Bas.
📚 Contributions académiques
Erik ten Broeke est co-auteur de plusieurs ouvrages de référence, dont le Handboek EMDR et le Praktijkboek EMDR: Casusconceptualisatie en specifieke patiëntengroepen. Ces publications fournissent des outils concrets de conceptualisation de cas, en particulier à travers le modèle en deux méthodes (Two Method Approach), qui aide les thérapeutes à identifier les souvenirs cibles à traiter en lien avec les croyances dysfonctionnelles.
Il est également co-auteur de nombreux articles scientifiques sur les adaptations cliniques du protocole EMDR, en collaboration avec des figures telles qu’Ad de Jongh et Hellen Hornsveld.
Erik ten Broeke est une figure influente dans le champ de l’EMDR, combinant expertise clinique, pédagogie, et contributions scientifiques solides. Son travail joue un rôle important dans l’évolution des protocoles EMDR et la formation des praticiens aux approches thérapeutiques innovantes comme l’EMDR 2.0.